La Chartreuse de Parme - Stendhal
Présentation de l'éditeur
"Cadet de grande famille fasciné par Napoléon qu'il rêve d'aller rejoindre, Fabrice del Dongo arrive à Waterloo quand commence la bataille.
Mais il ne suivra pas la carrière des armes à quoi il aspirait, et consentira à devenir prélat. Avec assez de détachement, cependant, pour que l'essentiel reste bien pour lui la chasse au bonheur - c'est-à-dire l'amour. Quand Stendhal publie La Chartreuse en 1839, le propre du roman demeure toujours à ses yeux le romanesque où rien ne compte que le récit qui se moque du sérieux, l'allègement de la vie et l'héroïsme des grandes actions comme des grandes passions.
Et le paradoxe de ce livre moderne qui est aussi une satire du pouvoir et de la cour de Parme, de ce livre où les Italiens retrouvent leur culture, c'est qu'il demeure apparenté au vieux fonds sans âge des romans où l'aventure s'accompagne d'un climat de bonheur et de gaieté. "
Commentaire
Soit je suis alcoolique, ou ignorante (ou les deux... je vous laisse bons juges), mais je croyais que la chartreuse dont il était question ici, c'était la liqueur. Je m'imaginais, je sais pas, une intrigue sur fond de fabrication d'alcool ou un truc du genre. Mon inculture crasse est maintenant réparée depuis que je me suis plongée avec délices dans ce roman qui nous entraîne du lac de Côme (j'ai chanté la chanson d'Alain Morisod/Sweet People pendant le premier quart du roman... c'est terrible, plaignez-moi!) à la cour de Parme (ça, ça a été l'occasion de rêver de jambon et de parmesan) où nous voyons évoluer Fabrice del Dongo de sa naissance à sa mort, Clelia, mais surtout, surtout, la duchesse Sanseverina et le comte Mosca.
Je crois que sans les interventions répétées d'une certaine dame, je n'aurais jamais ouvert ce livre (acheté en 1993, quand même) et je serais passée à côté de quelque chose. Quel souffle dans ce roman de Stendhal, quel portrait de cette petite cour de Parme, dirigée par un prince plus ou moins scrupuleux, où tous les courtisans se connaissent et où la vie privée n'est qu'un concept abstrait et pas du tout réaliste! Et en plus, ô surprise, la chartreuse, c'est drôle! Réellement. Une ironie délicieuse, une mauvaise foi parfois déroutante, un narrateur qui se permet de juger son "héros" et tous les protagonistes La bataille de Waterloo, telle que vue par Fabrice qui se demande s'il y a réellement participé et qui se ramasse assis par terre au lieu de sur son cheval.... j'ai ri aux éclats et dès le début.
La chartreuse de Parme, c'est une quête de bonheur. Celle de Fabrice, surtout, ce drôle de héros exalté au départ qui veut être héroïque mais qui le fait de manière ma foi fort maladroite parce que bon, il n'y comprend rien! C'est une véritable catastrophe sur deux pattes, ce bonhomme! Naïf comme pas un, il se laisse guider par les instincts et les impulsions du moment, dans sa quête de l'amour et du bonheur, et se met systématiquement les pieds dans les plats. Il faut toute l'adresse et l'intelligence de sa tante, la duchesse Sanseverina, qui lui voue un amour jamais réellement avoué, pour le sortir de là par de multiples jeux de cour, que notre Fabrice s'empresse de saboter sans vraiment le faire exprès. Je vous le jure, aimer Fabrice et le sortir du trouble dans lequel il réussit toujours à se fourrer, c'est un travail à temps plein!
Quant à cette duchesse, quelle femme! On sent sa majesté, sa prestance et sa beauté dans les mots mêmes de Stendhal et elle occupe tout l'espace de chaque scène dans laquelle elle apparaît. Torturée en elle-même par un amour pour Fabrice qu'elle a du mal à assumer, elle est adroite et réussit à intriguer de façon très efficace, aidée du comte Mosca, son amant et ministre du prince. Et ils évoluent, ces personnages, ils ne sont pas statiques ni tout d'une pièce. Il n'y a qu'à penser au comte, au départ ministre dont le principal travail consistait à rassurer le prince et à regarder en dessous de son lit pour vérifier qu'il n'y avait pas d'assassins cachés là, qui se révèle un homme capable d'une extrême générosité et qui fera tout pour l'amour de la duchesse, même aider son rival inavoué. Quant à la jeune Clélia, déchirée entre l'amour et le devoir, elle fait figure romantique d'amour interdit, avec sa promesse détournée et la situation qui s'en suivit. Ça a quand même un côté attendrissant, dans le noir, non?
Un roman foisonnant, où les rebondissements se succèdent, où les loyautés ne sont jamais sures, sur fond d'intrigues de cour. De beaucoup d'intrigues de cour. Ce que ce devait être fatiguant, de tout calculer ainsi. La cour de Parme est semblable à toutes les autres, avec son étiquette, ses mesquineries, ses clans, ses revirements d'allégeance. On s'y croirait, dans cette cour, ainsi que dans cette Italie magnifique, souvent vue par les yeux d'un personnage semblant trouver beauté et bonheur dans la plupart des situations, même les moins agréables. Durant tout l'épisode de la prison, entre autres. C'est à se demander dans quel monde il vit, son imaginaire lui semblant parfois plus vrai que le réel. Légèrement déconnecté, notre "héros"!
Certes, il y a quelques répétitions, surtout dans les intrigues politiques, et la plume de Stendhal m'est apparue moins "facile" que celle d'autres auteurs classiques. Il faut tout de même de la concentration pour suivre sans se perdre dans les méandres des pensées des personnages. J'ai adoré que ceux-ci ne soient pas parfaits, qu'ils osent défier la morale et les convenances, qu'ils aient leurs failles, évidentes, même, mais qu'on les aime tout de même. Moi, en tout cas, je les ai aimés. Ce qui m'empêche de crier au réel énorme gros coup de coeur (c'est donc juste un coup de coeur normal), c'est la finale, ma foi expédiée en deux pages et trois lignes. Pourquoi cette ellipse de trois ans? Pourquoi boucler tout ça si rapidement quand il y avait encore tant à dire? Je les aurais suivis encore un peu, moi.
Malgré tout, je me suis délectée de cette lecture, que je ne voulais pas voir finir. Certains passages et éléments du roman resteront cultes pour moi. Je vais devoir prendre une journée pour quitter ce petit monde et revenir d'Italie!
Alors voilà, je suis maintenant une happy few!