Le vent en parle encore - Michel Jean
Je l'ai dit 20 fois, je pense, mais j'ai eu un gros coup de coeur pour "Elle et nous", du même auteur (LISEZ-LE! C'EST UN ORDRE!). Je vous en ai déjà parlé dans le cadre de ce mois consacré au Québec. Du coup, quand j'ai réalisé qu'il sortait un autre roman en ce mois de septembre, je me suis dit que c'était genre... un signe! En fait, pendant "Québec en septembre", ça fait limite partie de ma définition de tâche en tant qu'organisatrice que d'acheter des romans québécois! Celui-ci a donc fait partie de mes achats-obligatoires. C'est que je prends mon rôle au sérieux, moi!
Ce roman, qui s'ouvre pourtant sur une avocate montréalaise qui cherche à retrouver tous les amérindiens d'une certaine liste pour leur offrir une compensation financière, nous entraîne encore une fois dans l'univers des innus, amérindiens nomades. Nous sommes dans les années 30 et notre bon gouvernement, assisté du non moins génial clergé, a décidé "d'aider" les jeunes amérindiens à s'intégrer en leur offrant une bonne éducation, bien ancrée dans la religion catholique, of course. Bien entendu, il n'y a aucune arrière pensée, on ne veut nullement les éloigner de leur langue et de leur culture. Sentez l'ironie poindre, ici.
Cette partie de l'histoire se centre sur trois jeunes adolescents qui sont arrachés à leur famille sans avertissement et qui ont été amenés à Fort George, endroit isolé et battu par les vents glaciaux provenant de la Baie James, à des milliers de kilomètres de chez eux. Thomas le solitaire, Virginie la lumineuse et Marie, plus craintive, meilleure amie de Virginie. Sur la liste de l'avocate, ils sont les seuls manquants. Ils ont disparu. Rayés du monde. Et, sans trop comprendre pourquoi, elle va tout faire pour savoir ce qui s'est passé.
Cette histoire est glaçante et touchante à la fois. C'est un pan oublié de l'histoire canadienne qui nous est ici raconté par le biais d'un roman, celui des pensionnats amérindiens, qui pendant environ un siècle, ont tenté de faire des amérindiens des "bons canadiens". En leur enlevant leur nom (un numéro, c'est biein plus simple), leurs mots, leur diginité, leur fierté familiale et leur mode de vie. En les humiliant, en les nourrissant mal, en leur faisant subir des sévices psychologiques et physiques. Plusieurs sont morts là-bas. Et c'est à travers les trois adolescents, très humains, pleins de rêves, d'espoir et de révolte (normal, ils sont ados... ça fait partie de leur "to do list") qu'on tente d'étouffer, que nous vivrons cette histoire émotivement. Nous sommes émus mais surtout révoltés par leur sort. Les mots sont simples, mais évocateurs. Cette île, on y est transporté. On entend ce vent qui menace de tout détruire, on ressent l'isolement, l'impuissance, la résignation. On se révolte devant les mauvais traitements, devant le silence des autres... et on comprend des choses.
Vous savez, sans généraliser, la cohabitation entre les autochtones et les "blancs", au Québec, c'est loin d'être simple. (Et là, je vais me faire tirer des roches par tous les bien pensants de cette terre... mais bon, c'est ça quand même). C'est surtout bourré d'incompréhension. Un total clash de cultures, avec un arrière goût de ressentiment. Et je crois sincèrement que ce sont des romans comme ceux de Michel Jean qui aideront les québécois à bâtir, lentement, un pont. Ne serait-ce que pour comprendre. Peut-être que le sort de ces trois adolescents qu'on apprend à aimer fera voir les choses différemment à une poignée de gens. Puis une autre. Car le roman est bâti de façon intelligente et réaliste. La situation actuelle dans les réserves n'est pas embellie. Mais quand nous rencontrons l'une de ces adolescente devenue vieille, nous réussissons à entrevoir l'adolescente qu'elle a été derrière la crasse, les bouteilles et la brume alcoolisée de gros gin qui l'entoure. Une adolescente ordinaire. Ni plus forte, ni plus fière. Juste normale. Qui n'a survécu que physiquement à l'enfer qu'elle a vécu. La rencontre entre la femme qu'elle est devenue et l'avocate est un réel coup de poing. Parfois, entrevoir le visage du jeune que la personne a été fait voir les choses sous un autre angle.
Bien entendu, je pourrais pinailler. Je pourrais mentionner quelques coïncidences un peu poussées, la manie de toujours nommer le personnage à qui l'on parle, à chaque réplique (oui, c'est le genre de choses que je remarque... silly me) mais ce serait détourner du propos principal du roman (quoi, qui dit que je viens de le faire... my bad!). De plus, si on aurait tendance à dire que "voyons donc, c'est exagéré"... il n'y a qu'à se retourner vers la récente histoire du Séminaire St-Alphonse à Ste-Anne de Beaupré pour se dire que non, pas tant que ça. Vraiment pas.
À lire donc. Pour être secoués mais également pour la mémoire, même si c'est loin d'être l'un des pans les plus glorieux de notre histoire. Plusieurs membres de la famille de l'auteur, lui même Innu de par sa grand-mère (celle dont on raconte l'histoire dans "Elle et nous"... non mais je vous ai dit de le lire! Tsssss), ont vécu ces pensionnats. Certains en sont revenus...
Et je vous laisserai sur ces points de suspension (...)