Guerre et Paix - Léon Tolstoï
Présentation de l’éditeur
Tome 1
“- Ah ! enlevez ces... enlevez donc ces... (Elle désignait les lunettes.)
Pierre les enleva. Son regard n'était pas seulement étrange comme l'est d'ordinaire celui des gens qui enlèvent leurs lunettes, il était apeuré et interrogateur. Pierre voulut se pencher sur la main d'Hélène et la baiser, mais d'un mouvement rapide et brutal de la tête, elle s'empara de ses lèvres et y appuya les siennes. Le visage d'Hélène frappa désagréablement Pierre par son expression égarée. »
Tome 2
« -Couchez-vous! cria l'aide de camp en se jetant à terre. Le prince André, debout, hésitait. La grenade fumante tournait comme une toupie entre lui et l'aide de camp, à la limite de la prairie et du champ, près d'une touffe d'armoise.
-Est-ce vraiment la mort? se dit le prince André en considérant d'un regard neuf, envieux, l'herbe, l'armoise et le filet de fumée qui s'élevait de la balle noire tourbillonnante. Je ne veux pas, je ne veux pas mourir, j'aime la vie, j'aime cette herbe, cette terre et l'air... »
Commentaire
Je sors tout juste de ces 2000 pages (on s’entend, nous sommes le 18 août au moment où j’écris ce billet!) et je crois que je suis encore en Russie avec ces personnages. Parfois je danse au bal avec Natacha, parfois j’entends le bruit des canons ou je sens l’odeur de l’incendie de Moscou. D’autres fois, je discute politique avec princes et comtes, je me faufile sous les sifflements des balles, je marche dans le froid ou je pleure sur la mort d’un personnage. Ce roman, je l’ai vécu.
Je sais que c’est maaaaal mais j’ai une image très romantique de la Russie de l’époque, avec ses tsars, ses grandes étendues de neige, ses troïkas et ses palais démesurés. C’est un pays qui m’a toujours fascinée mais que je ne connais en somme que superficiellement. J’ai donc plongé avec délices dans ce roman, j’ai vécu dedans, j’en ai rêvé (bon, le rêve incluait parfois des bains volants… mais ça c’est une autre histoire, conditionnée par mon cerveau bizarre). J’ai ouvert du roman en ne sachant absolument pas quelle était l’histoire qu’on allait me raconter; je savais seulement que c’était long et qu’il y avait beaucoup de batailles. Étrangement, je n’ai pas trouvé ça long du tout (2000 pages en une semaine et demie, quand même… il fallait que je sois passionnée pas à peu près!) et Tolstoï m’a captivée, même pendant les descriptions de la guerre et des ses batailles, parce que si elles sont racontées en gros, dans leur ensemble, elle le sont surtout par les yeux et les perspectives de ses personnages, auxquels j’étais attachée. Du coup, on a l’impression de suivre cette bataille d’un point de vue personnel. Je dois aussi avouer que ma terrible méconnaissance de l’histoire me faisait avoir hâte de connaître l’issue de la bataille d’Auzterlitz… (j’ai honte, je sais… sans la gare, je n’en aurais pas eu la moindre idée.)
Mais attendez que je vous raconte un peu. Il est difficile de résumer ce roman touffu et complexe. C’est une véritable fresque qui raconte la Russie à l’époque des campagnes Napoléoniennes. De leur point de vue. Nous avons donc évidemment une vision différente de ces campagnes, selon que le « nous » n’est donc ici pas occidental mais plutôt russe. Bien entendu, il y a Napoléon Bonaparte, il y a le tsar Alexandre 1er, il y a Koutouzov, le Sérénissime commandant en chef de l’armée russe mais ils sont très humains dans l’œuvre de Tolstoï. Mais nous avons surtout quelques familles russes, les Rostov, les Bézhoukov, les Bolkonsky et les Kouragine, par les yeux desquels nous verrons cette période, ces guerres, dépendant de leur statut et de leur point de vue. Nous sommes toujours dans la haute société avec ces familles mais tout n’est pas rose pour eux. Il y a des soucis d’argent, des mariages plus ou moins heureux, des traitrises, des apparences à sauver, des vies qui ne tiennent qu’à un fil. Chaque personnage a son passé, ses caractéristiques physiques souvent répétées, ce qui fait que je suis parvenue à les démêler facilement malgré leur nombre et les – très, très nombreux – surnoms et diminutifs qui sont utilisés. Nous aurons l’occasion de connaître plusieurs des personnages principaux de par leurs réflexions profondes sur la vie, sur la guerre, sur la politique, la religion. Chacun d’eux a sa vision des choses et agit pour des raisons différentes. Et chacun d’eux évolue, de façon souvent non linéaire, ce qui ne les rend que plus vivants, plus réels, plus humains.
Impossible de ne pas m’attacher au Prince André, souvent désabusé, qui renaît alors qu’il croit mourir. À Pierre, dont les questionnements reflètent ceux de l’auteur, personnage tourmenté qui cherche la vérité de toutes les façons possibles et qui est torturé par le décalage entre la vie qu’il mène et celle à laquelle il aspire. À Natacha, impétueuse jeunesse qui rayonne de l’intérieur. À la princesse Marie, dont l’âme est avec Dieu et qui réussit à être pieuse sans être désagréable. Et même à Sonia, à Nicolas, au joueur et manipulateur Dolokhov. Parce qu’ils sont vivants, parce que l’auteur ne les épargne pas.
Guerre et Paix, c’est donc l’histoire d’un peuple, d’un pays et de gens pendant une guerre dont l’auteur cherche à comprendre les mécanismes. Qu’est-ce qui a bien pu motiver des centaines de milliers de personnes à aller s’entretuer ainsi? Dans la deuxième partie du roman et également dans l’épilogue Tolstoï est moins romanesque et plus philosophique, prenant position face à l’histoire et à la façon de l’interpréter. Son déterminisme/fatalisme (je mélange toujours les deux notions… à vous de choisir quel terme est le bon) pourra en déranger plusieurs mais ce n’est pas là l’essentiel, malgré la part importante que cette réflexion a dans le roman. D’ailleurs Tolstoï ne considérait pas réellement Guerre et Paix comme un roman.
Bref, il faut le lire parce que mon billet n’en laisse entrevoir qu’une infime partie. Le style de Tolstoï est très accessible, les pages se tournent toutes seules et le tout se tient d’une façon étonnamment cohérente malgré les thèmes abordés et les incursions dans les pensées des personnages. Tout au long de ma lecture, j’ai eu un véritable film dans ma tête, avec des images de tous acabits et un mélange savoureux de russe et de français. (Parenthèse pas rapport… si quelqu’un peut me trouver une référence juste sur l’histoire de l’utilisation du français en Russie, je serais très intéressée!!) Jamais de pathos, mais des larmes quand même à l’occasion. Pas de bouffonneries mais une ironie souvent mordante et tout à fait à propos.
Bref, un gros coup de cœur qui me donne une envie folle d’aller en Russie pour m’imprégner un peu plus de ce pays, de son histoire et de sa culture.