Great Granny Webster (Granny Webster) - Caroline Blackwood
J'ai découvert l'existence de ce roman chez Cléanthe. (Au fait, vous connaissez ce blog? Il me plaît énormément! Je vous invite à aller y faire un tour.) Je me suis donc dit que c'était i-dé-al pour le mois anglais et j'ai drôlement bien fait car j'ai vraiment beaucoup aimé ce roman.
On sent clairement l'influence autobiographique dans ce roman qui nous promène d'un endroit particulier à l'autre. Une narratrice orpheline dont nous ne connaîtront pas le nom et dont le caractère est d'ailleurs assez flou nous raconte sa famille, désargentée mais profondément ancrée dans les traditions. Le personnage de l'arrière grand-mère Webster, où la jeune fille est amenée à passer une convalescence, règne comme un oiseau de mauvais augure, assise bien droite dans son inconfortable chaise de salon. Great Granny Webster n'est qu'apparence, correctitude, courage à toute épreuve. Vous savez, le motto anglais, keep calm and carry on? Ben c'est ça. Dans son cas, on pourrait dire "keep still (on your ass) and carry on". Notre narratrice passe quelques mois infernaux et quitte ensuite cette maison.
Ce sera par contre le point de départ pour tenter de reconstituer sa famille, son héritage. C'est sa voix à elle, condensé d'humour noir tout en restant très factuel, prosaïque et en faisant ressortir malgré tout le comique dans la tragédie, qui fait tout le sel du roman. Ce personnage, qui donne le ton au récit, demeure malgré tout très flou, comme si nous ne savions pas quelle part de l'héritage familial elle avait vraiment en elle. Entre son père décédé en Birmanie dont elle tente désespérément de se souvenir, sa tante alcoolique, suicidaire et perpétuellement joyeuse et légère (en apparence, bien entendu) et la grand-mère folle et persuadée de parler aux fées, nous découvrons petit à petit cette famille, cette histoire, inspirée de celle de l'auteure, flamboyante femme issue de la petite noblesse Anglo-Irlandaise et ayant vécu une vie mouvementée.
Mais par dessus tout, je me souviendrai des atmosphères. Du manoir en ruines en Irlande du Nord, froid, humide, limite gothique, habité par un grand-père faible et ne voulant que le bonheur de sa femme qu'il a perdue depuis longtemps dans un univers féériqu à l'appartement londonien surchauffé et parfumé au lys de sa tante Lavinia (je n'ose même pas m'imaginer dans quel état je serais avec une telle odeur... ce serait l'urgence direct) en passant par la maison impeccable et sombre ou habite Great Granny Webster avec sa servante borgne et aussi âgée qu'elle, les lieux sont évocateurs et l'écriture de l'auteur nous amène directement dans ces bizarres d'endroits, habités par les personnalités fantasques (ou pas) de ceux qui les habitent. Si nous ne voyons pas tant que ça la fameuse arrière-grand-mère, son influence est présente dans tout le roman. Ultime survivante (ou presque) de sa lignée, elle pèse sur ses proches, quitte à les rendre un peu fous.
Un portrait d'époque (celui du père de la narratrice, raconté par un ami à lui, homme déboussolé dans un monde en pleine effervescence), des personnages abîmés mais une plume vivante, caustique et ironique à souhaits, qui nous amène directement dans cet univers à la fois glauque et glamour. Le tout en 108 pages. Ce n'est pas peu dire. Et quelle fin! Et lucky you, il est traduit et dispo en poche chez Livre de Poche!
Un roman qui se lit rapidement, mais auquel on pense longtemps.